Philosophie - Autonomie, Louis Ledonne

Le mot est évidemment politique même s'il n'est plus employé que dans un sens médical pour désigner la capacité d'un enfant, d'un malade, d'un vieillard à mener une vie à peu près normale. Evolution significative.

 

L'individu autonome est celui qui se fixe ses propres règles. Non pas celui qui vit sans tenir compte des règles collectives, mais celui qui sait et qui peut décider de ce qu'il juge bon pour lui et la société.

 

En ce sens la notion d'autonomie est indissociable de celle de démocratie dans la mesure où il ne saurait y avoir de démocratie véritable dans une société qui ne développerait pas l'autonomie des citoyens, leur capacité à juger par eux-mêmes, en dehors de toutes les données qui pourraient les influencer, les déterminer.

 

Le philosophe grec Cornelius Castoriadis a mis la notion d'autonomie au cœur de son œuvre. Sa réflexion est centrée sur l'articulation entre individu et société, pour comprendre comment les conditions historiques et sociales peuvent entraver ou développer l'autonomie des individus, lui donner les moyens de se vivre comme sujet.

Ce philosophe visionnaire a décrypté mieux que quiconque les mécanismes du néolibéralisme contemporain.

Une société religieuse tendra à instituer les hommes essentiellement comme enfants de la création divine, une société monarchique les fera enfants du roi, une société totalitaire constructeurs d'un nouveau monde.

 

Parmi ces différentes sociétés, toutes hétéronomes, dans le sens où elles s'appuient sur la dépendance absolue des individus à des règles, à des lois et à un imaginaire collectif, certaines sont figées, écrasent toute volonté de changement, d'autres suscitent chez l'homme (système Nazi) un imaginaire radical.

 

Face à cela, il est des moments dans l'histoire où se développe un mouvement positif qui permet aux individus d'échapper à l'emprise des mythes collectifs.La Renaissance et les Lumières furent de ces moments.

 

Mais quel type "humain" produisent dès lors nos sociétés contemporaines ?

Telle est la question essentielle pour comprendre en quoi nos démocraties libérales, par le déploiement d'un capitalisme dérégulé, se sont totalement éloignées du projet d'autonomie porté par la révolution française, et avant elle la révolution américaine.

 

Nous avons ainsi perdu une certaine idée du bien commun, collectivement partagé.

 

Car le passage d'un capitalisme, encadré par des règles et des valeurs qui en limitaient les excès, à un capitalisme débridé, dont le fonctionnement nécessite la libération de pulsions infantiles, a peu à peu mis à bas ce modèle.

Parce que ce nouveau système économique a besoin d'individus, non pas autonomes, mais atomisés, détachés de tout lien de solidarité et réduits à leur état d'homo oeconomicus.

 

On peut trouver rassurant que ce type humain soit attaché à la paix universelle et au bonheur individuel mais c'est oublier que cet individualisme contemporain développe non pas l'estime de soi mais le narcissisme, qui est une passion négative, et bascule facilement dans la haine.

L'idéologie du progrès qui caractérise la société occidentale nous a laissé croire en un développement continu de l'autonomie des individus. Illusion mortelle.

L'individu consumériste, quant à lui, parce qu'il est réduit à une hétéronomie radicale, est parfaitement préparé à basculer dans la religiosité la plus fanatique.

 

Comment enrayer ce processus ? 

Comment rendre à nos sociétés prétendument démocratiques mais, dans les faits, de plus en plus oligarchiques, leur puissance à développer de l'autonomie ?

 

L'autonomie est un processus fragile, puisqu'il ne fonctionne que par l'articulation entre l'individuel et le collectif : d'un côté un homme libre, responsable, partageant des valeurs d'égalité, d'ouverture, d'inscription dans un passé, dans une culture et de l'autre des hommes qui assument le doute nécessaire, la remise en cause de valeurs qui ne doivent jamais être considérées comme évidentes.

 

Le rôle du politique est déterminant dans ce processus car une société ne peut se penser en dehors de ce qui, aujourd'hui, tend à enfermer les citoyens dans de nouvelles formes de dépendance.

Dépendance alimentaire car éloignement entre le producteur et le consommateur à travers le processus de culture et de transformation.

Dépendance géographique où, par la nouvelle configuration des lieux de travail, la voiture devient de plus en plus nécessaire.

Dépendance technologique, quand la vie individuelle et collective est entièrement organisée autour d'outils numériques dont les règles de fonctionnement sont régies par des multinationales, aux appétits démesurés, qui veulent dicter leur comportement aux usagers par des algorithmes et s'enrichir à partir de leurs données personnelles.

 

L'émergence d'une démocratie vivante, s'appuyant sur des individus autonomes, ne pourra se faire sans la pleine conscience du politique, c'est-à-dire sans la reprise par l'Etat de son rôle d'arbitre et de régulateur.

Sinon, le réveil des aspirations à l'autonomie pourrait alors se faire plus brutalement mais nul n'a jamais intérêt à voir se déployer sans bornes les passions collectives.

 

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