D'ailleurs regarde ce bol, ce simple bol. Je l'ai aperçu tout à l'heure dans la vitrine la plus délaissée du plus petit musée sur une place reculée d'un village du Péloponnèse, lors de mon voyage à Athènes.
Regarde les motifs de son modeste décor : de simples spirales ouvertes sur d'autres spirales.
Elles courent sur toute la surface extérieure.
Rien de plus banal : on trouve cela partout à l'époque mycénienne.
Ces spirales, on les retrouve spontanément sur les frontons de l'époque classique, mais encore dans n'importe quel salon au décor un peu kitsch d'aujourd'hui (sans compter l'emblème de l'Aube dorée, qui se prétend à la fois motif national par excellence et variante non déguisée d'un emblème nazi).
Or spirale, c'est déjà cosmos, mot qui ajointe sur une même courbe les significations de l'ornement et de l'universel. Un seul motif pour dire le tout du monde organisé en rythmos, c.-à-d. en forme des mouvements du monde.
Et tout cela sur un simple bol en terre cuite.
Regarde encore un peu : les spirales sont reliées entre elles.
Comme si elles se tenaient par la main, comme si elles dansaient ensemble.
Mais, surtout, comment ne pas y voir, puisque la mer est au bout de la rue, la forme même des vagues, ces puissances innombrables et inarrêtables de la caresse et de la dévastation que produit tour à tour le grand remuement du monde.
N'y a-t-il pas dans ce motif les formes de la force même ?
Ne vois-tu pas qu'à la surface de ce simple bol, porté à la bouche pour désaltérer le corps, pour accueillir l'étranger, pour échanger dans une taverne, pour mieux se parler en société.
C''est la forme même de tout l'espace et de tout le temps (une contraction merveilleuse de l'espace-temps) qui s'inscrit en motifs aussi simples que merveilleux, tels les sismographes de nos civilisations dans leur longue durée.
Louis Ledonne
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