Philosophie - Comme on nous parle, Louis Ledonne

 

Le titre du livre de Jean-Paul Fitoussi, « Comme on nous parle », est emprunté à une chanson d’Alain Souchon, « Foule sentimentale ». Voici quelques idées forces de ce livre qui parle de l’emprise de la novlangue sur nos sociétés.

 

La façon dont on nous parle des problèmes économiques, sociaux et même politiques nous laisse peu de chances de comprendre ce que l’on veut nous dire. L’invention d’une néo-novlangue est passée par là. Les grands communicants l’avaient bien compris, l’appauvrissement du langage permet de faire converger les pensées.

 

Dans son livre « 1984 », George Orwell décrit le processus que Big Brother a mis en place pour faire converger la société vers la pensée officielle, le ministère de la Vérité traque toutes les contradictions entre les nouvelles contenues dans les journaux et écrits antérieurs avec ceux qui sont annoncés dans ceux d’aujourd’hui. Et Goebbels disait en substance que son projet n’était pas que les gens pensent comme lui, mais d’appauvrir à ce point le langage qu’ils ne puissent faire autrement que de penser comme lui.

 

Voilà donc un travail sur les mots, le dictionnaire de la nouvelle langue. Et nos démocratie, sans coercition certes, mais par des méthodes de persuasion, de maitrise des médias se sont engagées sur ce chemin.

 

Ainsi en Europe, dans le domaine de l’économie politique, nombre de mots ont été effacés du dictionnaire : plein emploi, demande, relance budgétaire, politique industrielle, investissement public etc . . Et le mot « keynésien » revêt une connotation péjorative en désignant un adolescent attardé ou un économiste insuffisamment formé pour comprendre la complexité des choses. Par contre nombre d’autres ont été mis en exergue :  compétitivité, réforme structurelle, règle budgétaire, pacte de stabilité, pacte de croissance, fiscal compact, Two Pack, Six Pack etc . . .

 

L’appauvrissement du langage est comme un rétrécissement de l’espace qui fait que l’on vient sans cesse se heurter à ses limites. Il réduit le champ des solutions et produit la résignation, qui pousse à accepter son sort. Ceux qui font nos discours sont appelés élites, en une confusion entre le mérite et la position occupée.

 

Un bel exemple de distorsion du langage est donné par les règles du langage et les règles de gouvernement. Les premières, politiquement correctes mais impératives, disciplinent le langage pour que la critique de l’action publique perde de son aspérité.

 

Quant aux règles de gouvernement, instruments de gestion d’une économie complexe et d’une société exigeante, elles participent de la puissance de persuasion du langage. Ecrites dans la langue des langues, la mathématique, elles imposent des contraintes d’autant plus redoutables qu’elles semblent abstraites. Le pacte de stabilité et de la croissance (contraintes européennes)  ont été écrites dans ce langage que nous ne comprenons pas et qui ainsi nous empêchent de recouvrer notre sens critique.

 

Mais pour éviter une invraisemblable tragédie face au coronavirus, il fallait libérer la société de règles artificielles que nos politiques ont savamment construites, en partie par défiance à l’égard de la démocratie.

 

C’est ainsi qu’à l’inverse des classiques, les keynésiens ont toujours préféré le « choix à la règle ». Cette préférence n’a rien d’arbitraire et est basée sur deux éléments :   l’économie n’est pas mécanique (elle ne se résume pas à des cycles autour d’une tendance) et elle connait des pannes et/ou des chocs imprévisibles de nature géopolitique. Autrement-dit, l’incertitude ne se laisse pas, par définition, réduire à une action préétablie.

 

Revenons alors sur les mots tabous (en Europe) que sont le pacte de stabilité et budgétaire, ce qui signifie en gros que la politique budgétaire ne doit pas rechercher la croissance, mais la stabilité de la dette publique et l’équilibre budgétaire, termes devenus carcans d’une pensée unique, sans autres alternatives.

 

Mais l’Europe s’est réveillée sous l’effet du tintamarre tragique du coronavirus et les dogmes ont volé en éclats. La commission prévoit un plan de relance de 750 milliards d'Euros, moitié pour subsides, moitié pour financement. Exit le pacte de stabilité et l’équilibre budgétaire. Retour à une « politique budgétaire expansionniste », expression qui avait été bannie du dictionnaire de la novlangue. Les pauvres Grecs n’ont pas eu cette chance, eux qui ont été mis sous tutelle par le trio constitué du FMI, de la BCE et de la Commission Européenne.

 

D’autres exemples sont donnés dans ce livre : chômage et plein emploi, réforme structurelle, fin du travail . . .

 

A titre plus personnel, nous sommes conviés, nous les « mentors » chez « Duoforajob », à parsemer les lettres de motivation de nos  « mentee » de termes issu de cette nouvelle langue. Sinon, dans certaines firmes importantes, des scanners automatisés, en repérage de mots bien précis issus de la novlangue, risquent d’envoyer ces lettres à la poubelle sans autre forme d’intervention.  

 

La langue que nous utilisons, à force d’être contournée, a transformé la réalité à laquelle nous sommes confrontés, jusqu’au déni de la souffrance. Elle est davantage manipulée par la doctrine qu’elle ne s’en sert. Il faut déconstruire cette langue pour reconstruire un langage dans lequel chacun, avec bon sens,  puisse se reconnaitre.

  

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