Le sentiment d’humanité n’est pas l’émotion de pitié qui advient par empathie ou sympathie : douleur, souffrance, chagrin suscitent en nous un mouvement émotionnel de solidarité comme si nous savions bien et partagions ce que ressent celui qui souffre. Et par ailleurs la vertu d’humanité en appelle-t-elle au prétendu droit de mentir, par humanité, pour sauver l’existence d’autrui par exemple ?
A ce propos Descartes parlera non pas de deux principes en opposition ( la nécessité morale d’humanité et celle de la véracité) mais de la conséquence de nos actions qui n’ont rien à voir avec les conséquence de notre raisonnement.
Sartre, quant à lui, parlera d’une liberté en situation, par opposition à une point de vue juridique ou éthique, car c’est bien moi qui accorde sens à telle circonstance ou tel état de fait pour en faire un motif d’action. Cette liberté sartrienne est à la fois absolue et périlleuse car la vertu d’humanité fait appel alors au sentiment, qui devient le fondement de la morale. Mais dans ce cas on n’a pas une garantie transcendante qui permet d’échapper au caprice !
Montaigne, quant à lui, parlera de pitié en germe qui donnera naissance, en se développant, à l’humanisation de cet « animal stupide » que nous sommes.
Et Rousseau, pour éviter la « pitié » dangereuse en arrivera à concevoir que toute morale trouve sa stabilité en étant garantie par une transcendance, celle du divin ou de la nature. Mais comment donc cerner la vertu d’humanité en lui octroyant une spécificité si elle n’est pas vraiment la bonté morale ni qu’elle ne consiste pas à obéir au sentiment d’humanité ?
Cette vertu d’humanité est-elle donc introuvable ?Pourtant la notion classique d’un « sens commun » propre à asseoir la coexistence des hommes entre eux offre une issue. Ce sens commun un ne désigne pas l’opinion commune mais le prétendu « bon sens » qui sourd d’un groupe social d’une société donnée à un moment de son histoire.
Ce sens commun n’est pas le bon sens cartésien ; il n’est pas non plus la perfectibilité rousseauiste, il n’est pas non plus le sentiment de compassion de Montaigne, ni la liberté sartrienne ni encore la vertu morale kantienne. Et cependant il paraît loucher vers tout cela.
Il est censé cependant d’en revenir à Kant qui dans ses maximes définira l’expression de « sens commun » comme la faculté de juger en pensant à priori du mode de représentation de tout autre homme afin de rattacher son jugement à la raison humaine tout entière. Ses maximes sont les suivantes : 1- Penser par soi-même. 2-Penser en se mettant à la place de tout autre. 3-Penser en accord avec soi-même. La façon dont Kant énumère ces principes subjectifs nous met en présence d’une façon « d’être avec le monde » sans laquelle aucune humanisation de nos existences ne serait envisageable.
Ces maximes sont donc, en tant que telles, des principes propres à déterminer « l’Idée d’un sens commun à tous » sans préjugés et donc une manière de penser par « soi-même », « en se mettant à la place de tout autre » et enfin « de façon conséquente ».
La concision avec laquelle Kant rédige ses maximes du sens commun ne doit pas tromper ; elles ne formulent rien moins que les conditions du « dialogue véritable » en comparant ses jugement aux jugements « possibles » des autres. Une philosophie qui refuserait autoritairement tout dialogue avec d'autres philosophies comme avec d’autres champs de la connaissance risquerait de ressembler plutôt à une prêche, une homélie ou une prophétie.
La vertu d’humanité kantienne consiste bien à faire société avec nos semblables, présents ou passés, en s’élevant au point de vue de tout autre, tant éloigné du nôtre soit-il.
Cette manière de se conduire, si elle est bien la vertu d’humanité soi-même , éclaire du coup la raison pour laquelle Kant a estimé que les trois questions de sa philosophie : que puis-je connaître ? Que dois-je faire ? Que puis-je espérer ? se ramènent à une seule : Qu’est-ce que l’homme ? La vertu d’humanité réside ainsi à « rattacher son jugement à la raison humaine toute entière ».
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