Il y a dans cette image, tirée par hasard sur le net, quelque chose qui confine à la totalité du dit de notre relation au monde. Entre les deux êtres aimants et la nature derrière eux, pas de profondeur, pas d’horizon, pas d’intention. Tout semble ressortir du même plan, dans une pénombre qui masque une quelconque saillance. Il n’y a pas de sujet, pas d’objet, pas de séparation, pas de division ni d’assemblage entre les êtres et le lac derrière eux mais une fusion des deux personnages et du paysage, que l’on pourrait dire pré-originaire, un enveloppement de ceux-ci par la nature et un enveloppement de cette nature par eux. Il n’y a pas d’origine, pas de destination ; c’est un « entre-deux » vague, athmosphérique qui caractérise au mieux la situation.
Les deux personnages ne sont pas « jetés dans le monde », en reprenant l’expression d’Heidegger mais plongés, immergés dans celui-ci dans un espèce d’ambiance qui les porte, les fait appartenir au milieu. Ils sont dans le « hic et nunc ». Il y a comme une « affection tonale » qui traduit leur appartenance au monde.
Si cette relation avec le monde s’efface, il y a perte du « monde commun » (Hannah Arendt) : ce monde dans lequel nous participons tous et au même titre. Le parallèle s’impose alors avec notre mode de vie, nous les post-modernes, auréolés que nous sommes de tant de ruptures civilisationnelles.
Sommes-nous arrivés à une « sur-explication du monde », contradiction paradoxale où, au XXIème siècle, l’humanité rétrécit dans les promesses de vie toujours meilleure. Tout semble avoir été dit, décrit, analysé, proposé sur la crise socio-économico-écologique : on sait comment s’en sortir. La connaissance de l’histoire nous permet à présent de connaitre le passé de façon minutieuse et les sciences, de prédire les possibles du futur avec moultes précisions.
Ainsi le futur et le passé se sont compactés au point de ne plus exister que dans le présent. Et le petit appareil, appelé smartphone, dont on ne se détache plus, par sa mémoire infinie et sa géolocalisation, ne nous dit-il pas tout de notre planète. Mais trop d’informations éphémères, contradictoires, rétrécies, incomplètes, erronées, manipulées, synthétisées ou savantes ne nous mène-t-il pas au vide explicatif ?
Et une fois la mondialisation virale surmontée, que restera-t-il de cette sidération, de ces deuils, de ces burn-out. Une fois l’immense vague de données analysée, big datée, algorythmée, dépassée, oubliée, nos sociétés vont-elles reprendre leurs affaires et retrouver leur cours antérieur ou bien le covid va-t-il servir de témoin de passage entre deux époques.
Par ailleurs, le projet culturel de notre société moderne semble parvenu à son point d’aboutissement : les sciences et les techniques, l’économie et l’organisation sociale et politique ont rendu les êtres et les choses disponibles de manière permanente et illimitée. L’argent est devenu le moteur et la valeur principale de toute existence.
C’est ainsi que ce monde est devenu un « monde indisponible », agressif à force d’être devenu trop disponible, parce que nos sociétés ne peuvent ( ou ne veulent) se stabiliser que sur le mode de l’accroissement, de la concurrence, du toujours-plus et ce par l’entremise de la technique, de l’économie et de la politique. : ainsi notre vie sera meilleure si nous parvenons à accéder à plus de monde ( en termes de biens, de capital, de ressources . . .). Cela est devenu un principe de décision dominant dans tous les domaines de l’existence et ce quelle que soit notre période de vie.
Nous sommes dès lors face à un monde sur-expliqué, numérisé, artificiel, agressif, désenchanté, où la maitrise de nos propres vies nous échappe, et qui tend à recouvrir intégralement le monde social et naturel.
Ne faudrait-il pas revenir à cette scène du début, probablement dans une île lointaine du pacifique, non pas pour revenir à un « mode d’être » plus ancestral certes, plus convivial, plus apaisé mais pour, à titre allégorique, retrouver la « résonance » que nous avons perdue à l’égard de notre monde. Et dans une étincelle de conscience retrouver une sensation de présence au monde : quelque chose est là, quelque chose est présent.
Et tabler sur l’intelligence non contrainte, préférer le réel au virtuel, le vrai à la vérité, le juste à la démesure et à la folie destructive, l’éthique aux idéologies. Et retrouver la dynamique de confiance, condition nécessaire à la dépollution tranquille des idées et à un usage lucide du Temps d’après.
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